Il pleut.

Cela commence par un grésillement infime. On dirait qu'une radio calée sur une fréquence inutilisée est restée allumée quelque part dans la maison, juste assez près que pour être entendue mais trop loin que pour susciter l'envie de se lever et l'éteindre. Un crépitement imperceptible aux frontières de l'audible joue avec les vitres inclinées des fenêtres de toit. Tout aussi imperceptiblement, la lumière change de nature et de texture ; de claire, elle s'estompe de vert-de-gris et prend des nuances marines d'aquarium. Un voile d'opaline recouvre l'extérieur et dérobe à la vue le contour net et précis des choses du dehors.

L'intérieur du grenier est un cocon de calme et de tranquillité. Pelotonné dans une semi-obscurité entre le dossier et l'accoudoir du divan de cuir taupe, un plaid de polar beige négligemment chiffonné autour de mes jambes repliées, j'oscille entre le fil d'un récit qui se déroule sur l'écran de la liseuse appuyée sur mes genoux et les méandres de mes pensées vagabondant au gré des gouttes qui commencent à s'écraser sur les tuiles avec autant de petits claquements secs.

Le rythme de la pluie s'intensifie ; le crépitement devient roulement, puis tonnerre. Le ciel s'assombrit comme une fin de jour au large des falaises qui surplombent la mer. Des draperies de nuages ourlées de nuit roulent au-dessus des maisons. Un grondement occasionnel déchire le gargouillis des trombes qui dévalent les gouttières et engorgent les avaloirs des égouts. L'eau ruisselle sur les murs, sur la rue, arrache du sol toute la poussière et la terre recuites par les derniers jours de soleil, se colore d'ocre et de boue, et trace une ligne monochrome entre le brun veiné de gris des chaussées et la patine livide de l'atmosphère liquide.

Le fracas de l'orage s'amplifie encore ; le feu tombe du ciel en zébrures aveuglantes ; le hurlement du vent contre les plaques métalliques disjointes du chantier d'en face qui s'entrechoquent follement et les craquements et les plaintes des solives et des chevrons de la toiture composent une symphonie sauvage et atonale. Il règne dans l'air une énergie brute, une force électrique palpable, substantielle, qui hérisse chaque poil et met les nerfs à vif. Délaissée depuis quelques minutes, la liseuse s'est éteinte ; toute concentration est impossible, on ne peut que se laisser ballotter par la fureur qui se déchaîne tout autour. La lumière a presque entièrement disparu, et il ne reste au milieu de ce prologue d'apocalypse qu'une clarté diffuse et sourde qui lutte pour ne pas céder devant les ténèbres des éléments déchaînés.

Et puis, brusquement, plus rien. L'eau cesse de tomber aussi soudainement que si l'on avait appuyé sur un interrupteur. Les nuages maculés de suie se défont pour laisser passer quelques rayons diffus. Le tonnerre gronde une dernière menace inarticulée avant de se dissoudre dans un écho lointain. La clarté reprend progressivement ses droits. Je me lève de mon refuge pour basculer une tabatière et m'emplir le nez des odeurs de la terre mouillée, de la mousse gorgée et des arbres qui dégouttent. Un timide soleil couchant pare de touches dorées et violettes le bleu un peu fade de cette fin d'après-midi. C'est une belle soirée qui s'annonce, douce et tranquille, une soirée de fin d'été qui ne veut pas encore laisser venir l'automne, qui lui demande encore un peu de répit, qui crâne en lui disant “tu peux venir si tu veux, je ne bougerai pas d'un pouce”.

Et dans le firmament lavé de frais, les premières étoiles s'allument avec un léger tintement moqueur.