“ Une dépression nerveuse, c'est une affaire sérieuse. C'est peut-être même l'affaire la plus sérieuse de toute votre vie. ”

Cette affirmation remonte déjà à deux mois. Une éternité. Quasi une autre vie. Elle m'avait été glissée avec un air de ne pas y toucher par la psychologue qui me suit depuis le début de mon chemin de rédemption. Il est vrai que je n'aime pas l'expression plus que cela ; c'est une vilaine approximation, mais elle a cependant un je-ne-sais-quoi d'imagé qui recouvre trop de vérités pour qu'on se permette de l'ignorer.

La route d'un dépressif en rémission est semée d'embûches. Voilà un lieu commun des plus affligeants. Lui aussi, pourtant, recèle une vérité absolue : le périple en question est long, difficile, périlleux et bordé de doutes et de questions. Il est surtout fluctuant et plein de contradictions. Un beau jour, on se lève avec l'impression que la couche d'ouate épaisse qui anesthésie vos récepteurs sensoriels s'est légèrement atténuée. Presque sans le remarquer, vous notez distraitement que votre café a un goût plus prononcé, que le contour des choses et des gens semble un rien plus net, que les sons qui vous parviennent sont plus précis, que les couleurs sont plus brillantes. Le monde autour de vous vient de s'ébrouer et de se débarrasser d'un manteau d'amertume. Pour un peu, vous vous sentiriez presque serein.

Mais les voix continuent à se faire entendre. Elles ont pour nom Défiance, Hésitation, Incertitude, Méfiance, Crainte, Culpabilité, Remord, Angoisse, Perplexité ou Appréhension. Elles scandent leurs mélopées lancinantes dans l'obscurité qui flotte à la lisière de votre conscience. Elle ne vous ont jamais quitté. Il est probable, d'ailleurs, qu'elles ne vous quitteront jamais. Elles sont vôtres, vous êtes leur. Un contrat vous lie indéfectiblement. Mais un contrat, ça se renégocie, ça s'amende, ça s'adapte, ça se corrige à coup d'annexes et d'appendices.

Durant ces deux derniers mois, les voix ont crié, souvent. Hurlé, parfois. Déchiré de leurs aboiements le fragile théâtre de la conscience. Mais les jours passés, les pas enchaînés, les kilomètres parcourus les ont fatiguées. De vociférantes, elles se sont faites chuchotantes ; de tonitruantes, elles sont devenues murmures. Elles sont devenues un simple bruit de fond auquel l'esprit s'habitue, comme le bruit de la rue ou celui de la campagne, et elles se sont fondues dans l'atmosphère du quotidien. Elles ne font plus peur. Elles intimident encore, parfois. Elles peuvent montrer les dents, à l'occasion. Elles peuvent même encore faire monter l'une ou l'autre lame d'angoisse des profondeurs. Mais elles n'arrivent plus à masquer le ciel bleu avec les nuages d'orage.

Oh, la partie n'est pas terminée, loin de là. C'est d'ailleurs le genre de partie qui n'a ni terme, ni but, ni gagnant, ni perdant. Pas de ligne d'arrivée, juste un clap de fin quand retentit le glas du départ. C'est pour cela que la dépression est une affaire sérieuse, et qu'il faut la considérer sérieusement. Cette vieille amie s'est attachée à mon ombre depuis la nuit des temps, et il m'appartient de faire en sorte qu'elle reste à sa place. Et elle y restera. Parce que voyez-vous, ma dépression, finalement, je la connais bien : c'est le reflet dans le miroir, pas assez flatteur ; c'est le doute insidieux, le manque de confiance en soi, l'inclination naturelle au pessimisme. Elle est moi, et je suis elle. Tout au long du chemin, aussi long soit-il.

Mais elle ne sera jamais assez forte pour me persuader d'abandonner l'espoir du bonheur.