Un an, déjà.
En rentrant de ce rendez-vous chez le médecin, il y a un an, j'étais loin de me douter de ce qu'allaient être les mois qui suivraient. Assommé par un diagnostic asséné comme un verdict définitif et que je percevais comme un sceau d'infamie, recroquevillé en une boule de souffrance emmaillotée dans un égo réduit en poussière, j'étais résolu de devenir sourd, aveugle et indifférent au sort d'un monde sur le point de basculer dans une crise sans précédent. Or, juste avant que la planète ne plonge la tête la première dans cette torpeur teintée de cauchemar dans laquelle elle est probablement toujours enlisée à l'instant où vous lisez ces mots, quelqu'un me disait que j'avais probablement choisi le meilleur moment possible pour me retirer du monde.
On passe des mois englué dans les ténèbres, avançant à tâtons, dans la crainte d'un lendemain qui s'annonce au moins aussi, si pas plus gris que le jour qu'on vient de traverser. Puis, un jour, une clarté diffuse filtre du voile opaque qui occulte les contours de la réalité qu'on s'est construite à force de garder les paupières hermétiquement closes. On franchit un cap, sans même le savoir, et on se surprend à reprendre goût au quotidien et à ses menus plaisirs, dans un état de grâce presque tangible. On avait oublié que la vie est généreuse de trésors d'imprévus, qu'elle regorge de belles surprises, de moments féériques, et qu'elle s'amuse à vous faire croiser les chemins de personnes qu'à priori rien ne vous destinait à rencontrer.
A l'heure où j'écris ces lignes, j'ai depuis quelques temps déserté les pages de ce blog qui m'a accompagné comme une manière de thérapie silencieuse durant les longs mois ternes qui viennent de s'écouler. Alors que se profile la menace d'une troisième vague de cette pandémie qui a redéfini notre rapport à la normalité, que s'élèvent de plus en plus de voix pour dénoncer la gabegie et l'impéritie d'une gestion de crise sanitaire élevée au rang d'exercice d'improvisation mal interprété par de mauvais comédiens en équilibre sur un fil lâchement tendu au-dessus de précipices cyclopéens, alors que se multiplient les témoignages de détresse, de peur, les appels au secours, les témoignages poignants d'une jeunesse en perte totale de repères et de perspectives, les cris d'agonie de pans entiers d'une économie dont rien ne garantit qu'elle pourra un jour se relever, je me surprend malgré tout à aborder mes jours avec un cœur étonnamment léger.
Je sais que cette légèreté, en apparence subite, tranche singulièrement avec la noirceur qui tient compagnie au monde depuis un an. Et pourtant, elle est bien réelle. L'éclaircie est là, les pans de ciel bleu se multiplient, je reprend goût à la saveur de l'air après une longue hibernation volontaire. Et tout ce qu'il aura fallu, c'est un indéfinissable parfum de printemps, quelques jolis reflets du soleil dans les nuages, la reprise de contact avec des amis proches et chers, une rencontre magique au détour d'un hasard bienveillant, et les retrouvailles timides avec l'espoir tenace que les choses vont désormais aller mieux - et elles le doivent, tant je ne pouvais continuer à sombrer indéfiniment dans les méandres de la mélancolie. Pour une page publiée ici, ce sont cent, mille qui dorment à jamais dans les abysses de mes tiroirs secrets, obscurs exorcismes conjurant l'inconjurable, témoins silencieuses d'un voyage intérieur jusqu'aux tréfonds d'un mal de vivre jamais accepté, jamais reconnu, sentinelles muettes d'un égoïsme perclus de culpabilités fantasmées.
Ce texte, abscons et cryptique, sera peut-être le dernier de ce blog. Pour l'instant, du moins, et sur ce sujet précis. Ce n'est pas une promesse, c'est une intuition. L'écriture a fait son œuvre, les mots ont refermé les plaies. Il reste maintenant à les laisser cicatriser sans risquer de les rouvrir au moindre heurt. Le voyage intérieur entrepris il y a treize mois n'a pas trouvé de destination, mais il est devenu la destination, le but, le chemin. Ceci est la voie – MA voie. Il est temps, pour l'heure, de refermer le cahier et de lever le nez vers le ciel. Et de rêver à nouveau ce rêve qui nous emporte vers la plus belle des aventures : la vie, la vraie.