Bonjour, je suis dépressif sévère, et je suis en burn-out.

Ça calme, hein ? Comme entrée en matière, on a déjà fait plus gai.

Vous vous seriez doutés, vous, que le petit rigolo qui inonde votre TL et votre mur Facebook de trucs pas toujours de bon goût était dépressif au point d'avoir été très tenté d'en finir définitivement à l'une ou l'autre reprise ces derniers mois ? Qu'il s'était tapé un burn-out si profond qu'encore aujourd'hui, plus de huit mois après le diagnostic initial, toute évocation d'une reprise professionnelle provoque toujours chez lui des crampes d'estomac et des bouffées d'angoisse à peine supportables ?

Évidemment que non, parce que j'ai tout fait pour le cacher. Hormis les rares intimes qui étaient plus au moins au courant (et encore, personne ne l'était à propos des pulsions susmentionnées), nul ne savait - ce qui m'a d'ailleurs valu quelques réactions cocassement étonnées quand d'aucuns l'apprenaient.

Si j'ai agi de la sorte, ce n'est pas par honte, par gêne ou par pudeur (au point où j'étais arrivé, franchement...), mais bien par habitude ; quand on a été incité toute sa vie à afficher un masque de circonstance soigneusement étudié, et que chaque tentative de montrer ce qu'il y avait dessous s'est soldée (à une exception près) par de blessants échecs, on évite d'abord de heurter les autres et de faire des vagues avant de penser à soi-même.

Du coup, ça donne lieu à des situations assez ubuesques, quand elles ne sont pas simplement tragiques. Par exemple, le départ du jour au lendemain d'une entreprise qu'on a fondée et portée durant 10 ans, sans la moindre explication à personne sauf à son associé direct. Ou encore, la dissimulation permanente à la famille par peur que l'angoisse et l'inquiétude qui en découleraient constituent une pression ingérable pour son conjoint. Ou enfin, le silence qui s'installe puis qui s'éternise avec des gens qui vous manquent à vouloir s'en arracher le cœur de tristesse mais qu'on n'ose plus aborder parce qu'on se définit tout entier comme une nuisance qu'il faut maintenir à l'écart à tout prix, fût-ce à celui du désespoir, de l'oubli et de la solitude. Encore et toujours, les autres avant soi.

Aujourd'hui, je ne vais pas dire que je n'en ai plus rien à foutre, pas plus que je ne vais prétendre être guéri. Je ne cherche pas à afficher mon statut de dépressif en burn-out dans le but de m'attirer de la sympathie et/ou de l'apitoiement de votre part, de me poser en victime d'un quelconque système, de me faire plaindre ou parce que ça fait cool de montrer sa personnalité torturée (#moigothique). Je le fais parce que j'en ai assez de penser aux autres avant de penser à moi ; cinquante ans que ça dure, et ça ne m'a jamais mené à rien. Greed is good, disait Gordon Gekko ? Selfishness is good, lui rétorquerais-je ! Si je fais cet outing public, c'est pour moi avant tout, parce que ça me fait me sentir infiniment mieux de ne plus me planquer derrière de fausses excuses ou des prétextes fallacieux, de me cacher comme si j'avais une maladie honteuse qui me frappe d'un sceau d'infamie ou qui fait de moi un raté fini, un loser magnifique, un échec sur pattes. Je le fais parce qu'au bout de sept mois de thérapie et de bientôt cinq ans de réflexion existentielle, j'ai fini par découvrir celui que j'étais vraiment, par m'apprécier pour ce que je suis et non pour ce que les autres pourraient penser de moi ou vouloir que je sois, et qu'il est temps de jeter derrière moi cette vieille carcasse rouillée qui m'a servi d'ersatz de personnalité au cours de ces trop nombreuses années.

Alors voilà, chère famille : je suis en dépression nerveuse sévère assortie d'un burn-out de compétition, je suis suivi depuis plus de sept mois par une psychologue, j'ai sérieusement pensé à retirer la prise au moins à deux reprises sur le même laps de temps, et c'est pour toutes ces raisons que je n'ai plus ni boulot ni revenus (et que je n'en aurai probablement plus avant un certain temps dans la mesure où l'idée même de travailler me rend physiquement malade). Voilà, chères connaissances : si vous ne m'avez plus entendu depuis longtemps, si je ne réponds plus à vos sollicitations ou à vos messages, c'est tout simplement parce que je ne me sens plus capable de maintenir l'illusion rassurante que tout va bien et que je vis une vie merveilleuse alors qu'il en va plutôt du contraire, et que je ne veux pas avoir à subir votre commisération forcée et vos lénifiantes périphrases hypocrites dégoulinantes de bonnes intentions. Voilà, chers ex-employés et ex-partenaires : si j'ai disparu du jour au lendemain, au plus mauvais moment possible, c'est que j'en étais arrivé à ne plus pouvoir vous regarder sans avoir envie de vous éclater un écran en travers de la tronche - non que ça ait jamais été de votre faute, bien au contraire : c'est moi qui étais malade, et c'est moi qui devais m'éloigner, pour le bien de tout le monde et celui de l'entreprise.

Est-ce que ces révélations changeront mes rapports avec vous ? Non. Est-ce qu'elles risquent de changer l'image que vous avez de moi ? Sans doute. Est-ce grave ? Non. Est-ce que cela me perclus de culpabilité ? Au début, oui, et c'était insupportable. Aujourd'hui, non ; soit vous m'acceptez comme je suis, soit vous allez voir ailleurs. C'en est fini des masques et des costumes, des rôles et des postures. C'en est fini de faire semblant. C'en en fini de penser d'abord aux autres.

Bonjour, je suis dépressif sévère, et je suis en burn-out.

Et si ça vous dérange ou que ça vous pose le moindre problème, c'est le vôtre, pas le mien.