Alors que la planète se déconfine par endroits et se reconfine dans d'autres, alors que les populations oscillent entre résignation et insurrection, alors que les prêcheurs catastrophistes s'exhortent à dénoncer davantage d'inégalités sociales et raciales mais que l'humanité n'a jamais été aussi prospère, que ne cessent de croître l'espérance de vie, l'accès aux soins, à l'eau et à la connaissance et que régressent les inégalités, la mortalité infantile, les conflits armés, les famines et la malnutrition, alors que la crise majeure que la race humaine vient de traverser (et traverse encore pour une part) aurait dû être synonyme d'une prise de conscience de notre fragilité en tant qu'espèce, une frange minoritaire de cette humanité a décidé d’appeler de tous ses vœux un nouveau monde, un monde d'après idéal en forme de rêve fantasmé et idyllique (ou de cauchemar, selon le point de vue), et décrète que ce monde d'après sera, par la force, le fer et le sang s'il le faut, pour le bien commun de chaque homme, chaque femme et chaque enfant.

Ce monde d'après, c'est la nouvelle dictature d'une écologie au nom d'une planète qui n'en a rien à foutre et qui survivra de toute manière à ce que l'humanité peut faire de pire, c'est le détournement de sommes colossales sous des couverts vertueux pour soit-disant laisser à nos enfants un monde plus propre, plus éthique et plus durable, c'est l'organisation d'un dogme digne de l'inquisition qu'il est interdit de critiquer et de questionner sous peine d'une excommunication immédiate par ses prophètes et son troupeau de panégyristes bêlants, c'est le déni définitif du droit au doute, à la remise en question et à la mise à l’épreuve des faits qui, n'en déplaise aux experts autoproclamés de tous bords, restent les fondements absolus de toute démarche scientifique rationnelle (Dubito ergo cogito, on n'a rien inventé de mieux depuis l'aube de l'humanité)

Ce monde d'après, c'est l'exigence des égalités non en droits mais en résultats (et certainement pas en devoirs), c'est l'exemple du paumé sans éducation et sans qualifications qui a navigué de petits boulots en expédients divers, qui a été engagé à la faveur d'un plan gouvernemental gavé aux subsides publics pour caser des gens que plus personne n'oserait embaucher, et qui exige d'entrée de jeu les avantages et le salaire du patron de la boîte au nom de la justice sociale plutôt que se plier au jeu ancestral de la méritocratie et à l'exercice de la récompense de l'effort.

Ce monde d'après, c'est la dénonciation par des idéologues (n'ayant pour la plupart qu'une très vague idée de ce dont ils parlent) des horreurs du colonialisme, mal terrible ayant fauché des centaines de millions de vies racisées innocentes pour le seul profit des blancs privilégiés obèses de leurs richesses amassées sur l'autel de l'esclavage et de l'exploitation, c'est l'absolution inconditionnelle donnée à n'importe quel coupable de faits similaires parce que la couleur de sa peau l'amnistie de facto de tout crime, c'est la presse qui réécrit à charge des articles qui à l'origine apportaient un éclairage nuancé sur le partage des responsabilités entre autochtones et colons, c'est la bien-pensance bien puante du paternalisme de gauche qui décide que les victimes n'ont probablement pas les capacités intellectuelles requises pour s'exprimer clairement sur le sujet et leur confisque d'autorité la parole à son seul profit (tout en les flattant de bassesses pour entretenir le nécessaire vivier électoraliste), c'est le frétillement avide des élites décolonisées pour qui "excuses" rime obligatoirement avec réparation à grands coups d'espèces sonnantes et trébuchantes dont ils pourront gonfler encore un peu leurs comptes en banque pourtant déjà plus que bouffis de la misère des pays qu'ils exploitent sans vergogne la main sur le cœur.

Ce monde d'après, c'est celui où vous, moi, des gens normaux qui pour la plupart n'ont plus aucune attache avec ces pays dans lesquels nos parents ou grands-parents ont trimé toute leur vie loin des poncifs et des clichés du “bwana kitoko” entouré de ses braves esclaves nègres, devraient faire amende honorable et présenter leurs excuses publiques à d'autres gens dont les parents, de leur propre aveu, regrettent amèrement l'époque de la colonie, quand l'école et les soins de santé était gratuits et de qualité, les salaires décents, les infrastructures solides, les emplois garantis et le frigo rempli.

Ce monde d'après, c'est celui du politiquement correct poussé à son paroxysme, c'est le rabotage de toute aspérité, de tout ce qui dépasse, la condamnation immédiate et violente de tout ce qui pourrait heurter ne fût-ce qu'une seule personne, c'est la grande célébration joyeuse de l'unité euphorique d'un genre humain qui, en des milliers d'années d'histoire, n'a jamais été fichu de vivre en harmonie plus de quelques années, c'est l'utopie la plus flamboyante, la multiplication des identités conjuguées à la flambée de l'individualisme, le paradoxe fascinant du militant radical d'extinction-rébellion qui devient lobbyiste pour le secteur du nucléaire après avoir dénoncé durant des années les travers du capitalisme et des dangers du marché ouvert en tweetant à qui mieux-mieux sur son iPhone dernier modèle à plus de mille euros.

Ce monde d'après, c'est plus que jamais l'histoire qui est ré-écrite dans un silence assourdissant, c'est 1984 qui est institué en mode d'emploi universel, c'est la célébration des contraires et des contradictions les plus flagrantes, c'est l'apologie de l'aporie érigée en un mode de pensée schizophrène requis pour survivre aux incompatibilités fondamentales qu'on entend réconcilier par la force si nécessaire.

Ce monde d'après, je vous le laisse.