Le 11 décembre dernier, le parlement européen a entériné l'adoption, pour le secteur bancaire, du principe du bail-in au détriment de celui du bail-out, en vigueur jusque-là1. Or le bail-in, très simplement, c'est le droit qu'auront les banques en difficulté, à partir de 2016 (autrement dit, demain), de pouvoir puiser dans la partie dépassant les 100.000€ des avoirs des déposants qui leur ont confié leurs économies, dans le but de réduire leurs dettes ou de se refinancer à bon compte en cas de crise.

Supposons, par exemple, que vous possédiez dans une banque "X" une somme de 150.000€. Le jour où cette banque se retrouvera en difficulté, pour éviter la faillite, elle aura le loisir, grâce à ce fameux principe, d'aller piocher (à concurrence d'un certain pourcentage) dans la tranche supérieure de vos 150.000€ pour appurer ses dettes. Rien de moins. En termes plus choisis, on appelle cela la "confiscation de l'épargne".

Bien sûr, il y aura des dizaines de gardes-fou, des mesures d'exception, des dispositifs de sécurité à la pelle – probablement du même genre de ceux qui étaient censés empêcher les banques de commercialiser des produits toxiques auquels elles-même ne comprennaient rien.

"Mais c'est du vol, du racket, de l'extorsion, du crime organisé !" Non, c'est de la démocratie, puisque ladite adoption a été effectuée en toute transparence avec vote en séance pleinière. Le fait que ce vote se soit fait de manière forçée et dans une relative indifférence des populations n'est qu'un point de détail. Vous n'étiez pas censés être au courant ; de toute manière, c'est trop technique pour que vous le compreniez. C'est comme la future législation sur la protection des données privées, mais nous y reviendrons.

Heureusement, nous avons encore la fameuse protection des 100.000€. C'est déjà ça de gagné. Sauf que...

Dans notre plat plays, un rapide coup d'oeil sur le rapport annuel 2012 du Fonds de protection des dépôts et des instruments financiers2 (l'organisme censé garantir, justement, l'application de cette protection des 100.000€), montre dans son bilan (également publié en toute transparence, mais c'est une obligation légale) une "Réserve d'intervention" (celle-là même destinée à rembourser les victimes d'un "krach" bancaire) d'un montant de 261 millions d'euros3.

Si l'on en croit les analystes, experts et autres sommités financières du pays, le Belge moyen dispose d'un patrimoine de 165.000€4, dont 82.000€ sont constitués d'instruments financiers - exactement le genre d'avoirs couverts par la directive de protection susmentionnée.

Petit calcul : 261 millions divisés par 82.000, cela donne 3.182. Donc, au 1er janvier 2013, la réserve d'intervention du Fonds de protection permettait, en cas de désastre, d'assurer la couverture de 3.182 épargnants.

Certes, on parle de chiffres théoriques. Peu nombreux sont les Belges à disposer de 82.000€ sur leur compte. Dans les faits, d'après une note publiée en juillet 2013 par la BNB, le montant moyen est plus proche des 35.000€. Donc, 261 millions divisés par 35.000, cela donne 7.457.

La plus petite des banques belges compte à elle seule plusieurs dizaines de milliers de clients. La plus grosse, plusieurs centaines de milliers. Autant d'épargnants qui, en cas de faillite systémique, se retrouveront totalement démunis ; d'une part, parce que la réserve disponible sur les comptes du Fonds de protection est plus que largement insuffisante pour couvrir les pertes qui en découleraient et garantir la fameure couverture des 100.000€, mais surtout parce qu'en cas de chute d'une ou de plusieurs grandes banques, le gouvernement ira chercher l'argent nécessaire au renflouage là où il se trouve : dans les réserves disponibles, et notamment dans ce fameux Fonds de protection. Et qu'on ne vienne pas me dire que le bail-in empêchera les banques de venir pleurer dans le giron des politiciens. Nous savons tous qu'il n'en sera rien.

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1 http://goo.gl/aIF4xo
2 http://www.protectionfund.be/
3 http://goo.gl/xg4V6V
4 http://goo.gl/s4vjwd