Passé, présent, futur.
V. a étalé neuf feuilles plastifiées sur la moquette. Les rideaux devant la fenêtre ont été repoussés, et un soleil de fin d'après-midi filtre à travers les lamelles des stores, teinté de vert par la haie vive au fond du jardin. Je me suis reculé dans un coin de la pièce pour observer la mise en place, un peu sur la défensive. Je sens poindre un vague sentiment d'imposture, à me prêter à un jeu auquel je ne crois pas. Je ne risque pas grand-chose, sinon me sentir ridicule.
L'exercice commence. Personne-ressource-du-présent parle à moi-présent. Passé parle à futur. Présent écoute son ange-gardien. Les mots s'échangent à travers le temps dans un maintenant englué de gaucherie, et viennent parfois difficilement. Piqûre de gêne à l'idée de cette usurpation d'identité par procuration. Boule dans la gorge au moment d'imaginer qu'elle me dira à nouveau ce qu'elle m'a déjà dit à d'innombrables reprises. Soupçon de culpabilité en me rappelant de ce qu'il m'a déjà répété si souvent. On n'est jamais, finalement, que la somme des perceptions que les autres ont de vous. Et en filigrane, cette prise de conscience subtile que le temps file, qu'il est vital de cultiver un sain égoïsme, que le nombrilisme peut être une vertu, et que l'important n'est pas ce qui semble important mais bien ce qui compte. Pourquoi n'ai-je pas eu la force d'être sourd ?
L'exercice se termine. Je conjure la vague imminente d'un péremptoire "mais ce n'est jamais qu'un jeu mental". Sur le visage de V. se peint une réaction mi-amusée, mi-attendue. Je crâne un peu. J'ai beau rêver les yeux ouverts, je serre les paupières pour éviter l'engloutissement. Respiration, compter, un, deux, trois, quatre... Contrôle. Une grande main douce m'a retourné à l'intérieur avec une force irrésistible. Gorge qui gratte, poussière au coin de l’œil. Digresser, parler, pour éloigner le bruit du ressac qui sourd.
Transition - fondu au noir. Obscurité de la chambre, respiration profonde à côté de moi. Tintement discret d'une notification sur la tablette posée sur la table de nuit. J'ouvre le mail, la boîte dans laquelle j'ai fourré les mantras nés de la séance m'explose à la figure, et chaque mot vient me gifler avec une infinie douceur. Peut-être que c'est vrai, après tout, peut-être que c'est possible. Peut-être suis-je vraiment quelqu'un de bien. Ce n'est pas si désagréable de s'endormir avec les yeux humides.