Les jours se suivent et ne se ressemblent pas.
Le plus clair du temps, ils naissent de matins sereins, quand toutes les pièces s'emboîtent harmonieusement en un ensemble apaisant de perfection. Mais parfois, il leur arrive d'émerger de mauvais rêves, tourmentés et torturés, quand les vieux démons refont surface, tempêtent, crient, remuent, et ne cèdent le terrain qu'au prix de profondes balafres dans la terre meurtrie d'un paysage fragile. Un dépressif est un cyclothymique qui nie sa bipolarité, et dont l'esprit est un champ de bataille balayé des constantes bourrasques d'un vent fantasque.
Même si ma perception de la situation, et la prise de conscience de sa gravité, ont fait du chemin depuis les diagnostics initiaux et ma prise en charge par la psychologue qui me suit, il survient encore trop de ces moments où je retombe dans les travers d'une ancienne croyance dévoyée, persuadé qu'un dépressif est quelqu'un de fondamentalement faible, paresseux et défaillant ; cette conviction biaisée s'est d'ailleurs souvent affermie de ses propres illusions, chaque fois que je pouvais lire ou entendre que la seule chose dont un dépressif à besoin, c'est une bonne engueulade et un bon coup de pied au fesses.
Paradoxalement, c'est lors de ces moments où déboule la culpabilité d'être si peu fiable — une culpabilité si tangible qu'elle menace de m'engloutir — que je mesure la longueur de la route qu'il me reste à parcourir et que j'éprouve une conscience objectivement douloureuse que mon comportement et mes réactions sont aussi stupides qu'incontrôlables — ce qui contribue à accentuer le sentiment d'imposture, comme un papillon de nuit pris dans les feux d'une lampe et qui s'abîme presque avec délectation dans une spirale de dépréciation auto-entretenue.
Il y a des accents presque fanatiques dans le masochisme exacerbé d'un dépressif.
Et pourtant, avec le recul réconfortant que procure le recours à une froide observation clinique et raisonnée, que de progrès engrangés, que d'améliorations au quotidien, que d'innombrables petites victoires arrachées à l'occasion d'innombrables batailles livrées contre mon côté obscur ; la tension des laguis enserrant mes flancs s'est singulièrement relâchée depuis les premiers instants du voyage, et le carcan de la neurasthénie est plus souvent fait de plume que de plomb.
C'est la raison qui doit être ma boussole pour sortir de ce labyrinthe.