Je regarde l'éclat blanc dans ma main. Petit, nacré, insignifiant. Sipralexa, 10 mg. Le médecin m'a dit : "Un demi le matin après manger pendant une semaine, puis un entier après. Dans trois semaines, vous devriez sentir une amélioration. Revenez me voir quand la boîte est vide." J'ai hoché la tête, et suis rentré chez moi avec l'impression d'avoir basculé dans une autre dimension.

Durant des semaines, j'ai résisté. Pas question de devenir dépendant de ces saloperies chimiques, pas question de transformer mon cerveau en zombie anesthésié, pas question de capituler devant la facilité d'une solution pharmaceutique. Je voulais m'en sortir par moi-même, par la volonté, cette putain de volonté qui déplace les montagnes et qui m'avait permis de faire des choses incroyables. Les médocs, c'était pour les faibles, les abandonnés, ceux qui ne savaient pas se prendre en main. Sauf que – quelle surprise – la volonté ne suffisait pas. Quand à la thérapie, à laquelle je m'étais résolu, elle aidait un peu, mais… Lentement. Beaucoup trop lentement. J'avais dit à V., moitié mort de trouille, moitié en crânant : "2-3 semaines, et vous m'avez remis sur pied, n'est-ce pas ?". Elle avait souri. Et l'effondrement continuait, inexorable, miette après miette, je semais des cendres de mon mental un peu partout.

Alors j'ai avalé le comprimé. J'ai attendu. Comme un antibiotique, je m'attendais à ce que ça fasse effet rapidement. Spoiler : ça ne marche pas comme ça.

Les trois premières semaines, rien. Ou plutôt si : des nausées légères le matin, une sensation de flottement désagréable, l'impression d'être légèrement décalé par rapport au monde. Puis, au bout d'un mois, les choses se sont gâtées. Les crises d'angoisse ont commencé. Pas juste des petites pointes d'anxiété, non : des crises de panique en règle, format industriel, qui me prenaient sans prévenir, n'importe où, n'importe quand. Le cœur qui s'emballe, les tripes en chapelet de nœuds marins, le cœur qui va exploser, les poumons qui aspirent du vide, l'impression de mourir dans les cinq minutes. Soit – ô ironie suprême – exactement le genre de truc que le Sipralexa était censé éviter.

J'ai appelé mon médecin, paniqué. Il s'est étonné un instant : "Normalement le Sipralexa a plutôt tendance à diminuer l'anxiété. Mais bon, chaque patient réagit différemment. On va essayer autre chose." Voilà. "Chaque patient réagit différemment." La formule magique pour dire : désolé, t'as pas de bol, t'es dans les 30 à 40% pour qui ça marche pas, ou pire, pour qui ça aggrave les choses. T'es pas un cas exceptionnel ou une bizarrerie dans un bouquin de médecine, t'es juste une statistique. Effectivement, pas de bol.

J'ai arrêté le Sipralexa, mais le mal était déjà fait. Les trois mois qui ont suivi, ma balance a commencé à me regarder de travers, à mesure que les kilos s'additionnaient au compteur sans que j'aie, pour autant, changé quoi que ce soit à mon alimentation. J'avais toujours eu un métabolisme farfelu, du genre qui te fait payer cher d'avoir regardé un merveilleux ou une tarte au chocolat dans la vitrine du pâtissier. Là, j'étais passé au niveau supérieur : je rêvais d'un paquet de chips, boum ! Un kilo en plus. Le médecin m'a prescrit du Sedistress, le modèle "plus-forte" ; ça m'assomait un peu, mais ça ne me jetait plus en mode survie à tout bout de champ. Et, comme je peinais à trouver le sommeil, il a assorti la prescription de deux boîtes de Nustasium. Avec ça, j'ai enfin pu dormir comme un bébé – enfin, un bébé qui cauchemarde régulièrement, mais qui réussit relativement à faire ses nuits quand même. C'était déjà ça.

Au bout d'un an à ce rythme, j'avais pris huit kilos. Parce que le double combo amusant avec les antidépresseurs, c'est que parfois les effets secondaires les plus marrants survivent à l'arrêt du traitement. Puis, à l'occasion d'un gros passage à vide durant lequel les crises d'angoisse ont décidé qu'elles s'étaient tenues tranquilles pendant assez longtemps, on a essayé le Lyrica – normalement prescrit pour les douleurs neuropathiques mais utilisé off-label pour l'anxiété. Nouveaux effets secondaires : somnolence, sensation de brouillard mental, difficultés de concentration. Les bénéfices ? Mitigés au mieux. Un lissage des pics d'angoisse, au prix d'une fatigue permanente et l'impression d'être aussi énergique qu'une serpillière humide. Pas terrible comme compromis. Ensuite, s'est installée une anesthésie émotionnelle assez déconcertante. C'est difficile de le décrire à quelqu'un qui n'a jamais vécu ça. On s'en fout, on sait qu'on s'en fout, on sait qu'à ce niveau ce n'est pas vraiment normal, mais on s'en fout de s'en foutre. Je ne ressentais plus rien. Ni tristesse, ni joie, ni colère, ni enthousiasme. J'étais vide de sensations, j'étais devenu une éponge analytique gorgée d'une espèce de neutralité plate et grise. Certes, les pensées noires n'étaient plus là, mais je ne sentais plus rien. Dead meat on sticks. J'ai tenu quatre mois à cette cadence, je n'aurais pas tenu une seconde de plus.

Donc, retour à la case départ. Exit les antidépresseurs, retour à... Quoi, en fait ? La méditation transcendantale ? La pleine conscience ? Les racines de mandragore pilées au clair de lune ? Va savoir vers quoi te tourner quand tu coches toujours les cases des effets secondaires chelous sur les notices des médicaments. Tant qu'à faire, restons en terrain connu : reprise de ce bon vieux Sedistress, et on continue le Nustasium auquel, entretemps, je suis devenu dépendant. Impossible de dormir sans. Aujourd'hui, je suis toujours en train d'essayer de m'en sevrer, à contrecœur, parce que les alternatives naturelles ne fonctionnent pas chez moi. Je remplace une dépendance chimique par une insomnie chronique. Super deal.

Pour les crises d'angoisse et de panique, qui continuaient à débarquer à intervalles aléatoires (sinon ce n'est pas drôle), on finit par trouver une solution improbable : l'huile de CBD. Mon médecin était sceptique au début (moi aussi, d'ailleurs), mais en traitement réactif, deux gélules fortement dosées peuvent faire la différence quand une crise monte – parce qu'heureusement, avec le temps, on apprend à reconnaître et à interpréter correctement les signaux qui annoncent des épisodes désagréables. Pas en traitement de fond, mais comme solution d'urgence, ça fait le job. J'en suis le premier étonné. Ça aussi, c'était déjà ça.

Et puis... Fast-forward jusqu’à début 2023. Entretemps, j’ai tenté de m’en sortir sans médocs, juste avec un ersatz de discipline, quelques crises de panique mémorables et mes béquilles phyto. Ça a marché. Enfin, presque. Nouveau passage à vide. Mais pas le format de poche, le format super-extra-familial, en mode : "il y en a beaucoup plus, je vous le mets quand même", qui me pousse à consulter en urgence un nouveau thérapeute (j'avais arrêté avec V. un an auparavant) et à être vu par un psychiatre pour, au moins une fois, avoir un diagnostic ferme et définitif – et oui, je me doute que vous mesurez toute l'ironie de lire ces mots venant du type que trois médecins et deux psychologues avaient déjà diagnostiqué avec d'impressionnantes similitudes.

Pour ce troisième essai, nouveau changement de molécule, youpie ! L'heureuse élue ? La Fluoxétine. Le fameux Prozac. J'avais lu que c'était l'un des antidépresseurs les plus prescrits, les plus efficaces, et l'un des mieux tolérés. J'y ai cru. Encore. Les premières semaines, effectivement, quelque chose changeait. Les crises d'angoisse se faisaient plus rares. Les pensées noires perdaient un peu de leur intensité. Les entrées des chemins sombres étaient à peine discernables. J'ai cru que ça y était, que j'avais enfin trouvé la bonne recette, que j'étais tiré d'affaire. Mais quel naïf... Et les effets secondaires sont arrivés.

D'abord, la libido. Enfin, pas exactement la libido, mais plutôt sa manifestation physique, la machinerie de l'entresol. Pas juste une baisse ou une panne, non : une disparition pure et simple. La fosse des Mariannes. Le point le plus profond de l'océan, là où plus rien ne vit, où ce qui y sombre ne remonte jamais. Ensuite, à nouveau les kilos qui défilent. Pas énormément, mais assez pour que je sente tout le poids des reproches silencieux de mon auto-jugement. Et ça, pour quelqu'un qui lutte déjà contre une estime de soi désastreuse, c'était la cerise de trop sur un gâteau devenu atrocement écœurant, moi qui m'étais longtemps rêvé en éphèbe musclé et longiligne alors que je m'habille en XXL.

Le bilan était sans appel : les antidépresseurs m'avaient fait plus de mal que de bien. La zone d'exception des notices pharmaceutiques avait eu raison de toute envie de jouer les souris de laboratoire. Je n'ai pas repris le Sedistress, me suis raccroché à mon Nustasium comme un toxicomane en manque, et mes gélules de CBD pour les moments les plus pénibles. J'ai surtout compris que, puisqu'il y a autant de dépressions qu'il y a de dépressifs, il était presque logique que les traitements ne fonctionnent pas chez tout le monde. Au bout de trois molécules testées et de nombreux ajustements de dose, il était clair que, pour moi, les antidépresseurs n'étaient pas une solution miracle. Les études montrent d'ailleurs qu'ils fonctionnent pour environ 50 à 60% des patients. À nouveau, pas de bol, je n'étais pas dans le tas. Pour les autres, c'est un parcours du combattant, car ils ne sont pas vraiment mieux lotis : essais, erreurs, ajustements, effets secondaires, sevrages difficiles. Et, même quand ça marche, ça met trois à six semaines avant de faire effet. Le temps que tu t'en aperçoives, t'as déjà accumulé des dégâts collatéraux.

Les effets secondaires sont fréquents et variés : prise de poids, troubles sexuels, somnolence, agitation paradoxale, cauchemars plus vrais que nature, nausées, transpiration excessive, troubles de la mémoire. La liste est longue, et chaque patient développe son propre cocktail de merde. Certains s'en sortent bien, d'autres pas. C'est la loterie génétique et biochimique. Puis il y a le sevrage ; arrêter un antidépresseur, ce n'est pas comme arrêter un antibiotique. Il faut y aller en douceur, progressivement, sous contrôle médical, au risque de subir un contrecoup qui peut être assez violent : vertiges, nausées, irritabilité, retour brutal des symptômes dépressifs. Certains patients mettent des mois à s'en défaire complètement. Certains ne s'en débarrassent jamais totalement. La vérité, c'est que les antidépresseurs ne suffisent jamais seuls. Tous les praticiens sérieux le disent : ils doivent être couplés à une thérapie, à un suivi régulier, parfois à d'autres approches (activité physique, luminothérapie, méditation, jusqu'à un changement du rythme ou du style de vie). Ce ne sont que des béquilles chimiques, pas une solution définitive. Elles peuvent t'aider à tenir debout le temps que tu réapprennes à marcher, mais elles ne te guériront pas.

Aujourd'hui, cinq ans après ce premier demi-comprimé de Sipralexa, je ne prends plus rien de médical, hormis le Nustasium que j'essaie encore de sevrer. Ce qui m'a énormément aidé, c'est l'accompagnement de la thérapie. Est-ce que je regrette d'avoir utilisé des antidépresseurs ? Non, il fallait tenter le coup ; on ne peut pas savoir si une chose fonctionne sans l'avoir essayée. Ai-je été stupide de croire que je pouvais m'en sortir sans ? Évidemment. Est-ce que je les recommanderais ? Ça dépend. Chaque cas est différent. Pour certains, ils sont littéralement salvateurs. Pour d'autres, comme moi, ils sont une impasse.

Je refuse le discours simpliste du "prends tes pilules et tout ira mieux" autant que celui du "les antidépresseurs c'est de la merde chimique qui t'abrutit". La réalité est infiniment plus complexe, plus nuancée. Il n'y a pas de solution magique ou universelle, il n'y a que des chemins individuels, faits d'essais, d'erreurs, d'ajustements, de compromis, de beaucoup de souffrance et d'un peu d'espoir qui fait tenir debout. Mon chemin à moi n'est pas passé par les antidépresseurs. Je ne jetterai jamais pour autant la pierre à ceux pour qui ça marche. Chacun son combat, chacun ses armes.